Imaginez un groupe de rock progressif, avec des claviers, une batterie moelleuse et jazzy, une guitare relativement présente et un soupçon de flûte traversière. Imaginez le visuel créé par Roger Dean. On se rêverait être revenu à l’époque bénie où le rock progressif avait la côte, où Peter Gabriel se travestissait en Renard et où Yes était aux portes du délire... La promesse est alléchante sur papier, mais elle fait un peu pschiiit.
On veut espérer de belles choses : des mélodies inoubliables, une voix racée et enfantine haut perchée, des soli complexes et imbriqués, des constructions à tiroirs et des tiroirs dans des tiroirs et encore des tiroirs, puis au final un esprit cohérent ou un concept qui labelliserait l’œuvre Rock Progressif.
Mais Focus fait cela un peu autrement. Les musiciens sont certes compétents et font preuve d'un grand professionnalisme, mais on assiste un peu impuissant à un déroulement de pistes sonores, d'impressions colorées avec plus ou moins de saveur. Les rythmes sont tantôt rock, tantôt jazzy ou tantôt plus latino ce qui n'est pas pour déplaire. Alors oui les mélodies sont évidentes ; oui la guitare est bien ficelée, bien jouée et assez présente ; oui encore les duos entre la guitare et la flûte traversière fonctionnent à merveille. En contrepoint, les parties chantées sont assez rares et manquent cruellement, ce qui est dommage car lorsque la voix se montre, les compositions décollent.
Le disque est assez plaisant sur beaucoup des pistes, notamment Father Bacchus, Focus 10 ou Amok In Kindergarten. Une question se pose : aura-t-on envie de poursuivre l'aventure Focus après la première écoute ?
On peut entendre des similitudes avec Soft Machine pour l'aspect free jazz, avec Jethro Thull pour la conjugaison au plus-que-parfait de la guitare et de la flûte, et finalement quelques réminiscences de Magma pour les harmonies plus complexes. On ne peut oublier l’influence Yessienne qui plane tout au long de l'album, depuis même sa pochette dessinée par Roger Dean (très belle soit dit en passant). Mais pourquoi avoir intégré ce passage en scat ? On se croirait revenu dans les pires heures des charts des années 90 (I'm a scat man... Beeee baaa dop ba dop bob...), ou entendre une piètre imitation de Magma.
Si les points forts de cet album sont les duos flûte-guitare, les soli de guitare planants, expressifs et mélodiques à la Pink Floyd et les quelques plages chantées, on garde au final une trop grande impression de passer à côté de quelque chose de merveilleux, d’avoir croisé le regard furtif d’une passante magnifique.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?