Si certains musiciens, à l’instar de Steven Wilson ou de Dan Swanö, parviennent à associer talent et stakhanovisme, on ne peut malheureusement pas en dire autant de Niclas Frohagen, détenteur du premier mais certainement pas du second ! Forest Of Shadows, son projet à lui seul depuis 1997, son jardin secret, son journal intime ouvert sur son cœur, n’a pour l’instant pas été très prolifique : un EP en 2001, un premier album longue durée trois ans plus tard et enfin, ce second opus, après encore quatre longues années d’attente. Maigre moisson à laquelle il faut cependant ajouter l’unique offrande (à ce jour) de Ningizzia, son second navire dont il tient le gouvernail avec Stéphane Pedupin de Inborn Suffering, l’immense Dolorous Novella, publiée en 2003. L’homme prend son temps, mais on aimerait que Frohagen soit plus actif. En contrepartie, ses rares créations n’en sont que plus précieuses.
Attendu depuis longtemps, Six Waves Of Woe sort en 2008. Il démontre déjà que l’on a décidément eu tort de réduire le projet à ses débuts, à un simple élève (de plus) de l’école Katatonia, ce que semblait toutefois confirmer le prometteur mini Where Dream Turn To Dust. Ainsi, c’est bien le déchirant Departure qui a gravé dans le marbre son identité, ce doom atmosphérique et hypnotique à nul autre pareil, chemin peu balisé que ce nouvel album emprunte à nouveau. Celui-ci déroule, comme son titre le suggère, six complaintes, six chemins de croix.
Le lent et dépouillé "Submission" fait office d’entame. Douloureux, il installe l’auditeur dans un paysage que l’on devine plombé par l’hiver et couvert par un ciel chargé de nuages. Introduction pétrifiée, il plante le décor. Le noir "Selfdectructive" lui succède et témoigne de cet art de la montée en puissance qui est une des caractéristiques majeures de Forest Of Shadows. La plage commence calmement, bercée par le chant clair de Niclas, accompagné par des rythmes presque trip-hop. Puis, lorsque surgit la voix d’outre-tombe, c’est la descente à la mine qui débute. Enfin, après ce tonnerre d’émotions écrites à l’encre noire du désespoir, le titre meurt comme il est né. "Detached" suit une même construction, hantée par un son comme échappé d’un Mellotron à la King Crimson. Le matriciel Departure affichait déjà une architecture identique, mais on sent tout de même que Frohagen semble aller mieux. Il s’est marié et sa vie a enfin croisé la route du bonheur. Son art s’en ressent. Son premier essai de 2004 se drapait dans des habits funéraires ; son successeur se veut moins suicidaire. Il est juste la peinture de la vie, une vie faite de petits moments heureux et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Alors, certes Six Waves Of Woe n’est pas une œuvre particulièrement joyeuse et enjouée, mais elle montre son géniteur sous un jour (un peu) plus apaisé, comme l’illustre le très beau, bien que néanmoins sombre, "Moments In Solitude". Même le magnifique "Pernicious", en dépit d’une tristesse sourde, est presque enlevé. Pourtant, le terminal "Depraved" achève l’écoute sur une note noire, pleine de souffrance.
Forest Of Shadows livre donc un disque d’une très haute tenue, moins bouleversant que son prédécesseur, mélancolique plus que dépressif et teinté d’une fébrilité profonde, quand bien même son auteur n’a toujours pas fait mieux que l’album orphelin de Ningizzia. A quoi ressemblera son avenir ? Le projet étant un reflet de sa destinée, tout dépendra de la vie future de Niclas Frohagen. C’est ce qui rend son art si passionnant à suivre.