Il arrive que la simple vue d'une pochette puisse faire saliver. C'est le cas du dernier album de Nektar, "A Spoonful Of Time". Non pas grâce à l'horrible insecte futuriste semblant tout droit sorti d'un mauvais film de science-fiction et qui n'a que peu de rapport avec la musique du CD. Mais à la lecture de la liste hallucinante d'invités conviés par le groupe à participer à ce disque fêtant leur quarante-troisième anniversaire. Jugez par vous-même : Michael Pinnella (Symphony X), Mark Kelly (Marillion), Geoff Downes (Asia/Yes), Edgar Froese (Tangerine Dream), Ian Paice (Deep Purple), Steve Howe (Asia/Yes), Derek Sherinian (Dream Theater/Black Country Communion), Mel Collins (King Crimson/Camel), Rod Argent (The Zombies/Argent), Ginger Baker (Cream/Blind Faith), David Cross (King Crimson), Jerry Goodman (Mahavishnu Orchestra), Rick Wakeman (Yes), Bobby Kimball (Toto) et Patrick Moraz (Yes/The Moody Blues) pour ne citer que les plus célèbres. En comptant Klaus Henatsch, ce n'est pas moins de onze keyboardistes qui se succèdent, et non des moindres. Je vous ai bien fait rêver avec le line up ? Il est temps maintenant de redescendre sur terre.
Car malgré l'affiche alléchante, le plaisir qu'on anticipait n'est pas vraiment au rendez-vous, prouvant une fois de plus qu'il ne suffit pas d'aligner un nombre impressionnant de pointures pour faire un bon disque. Au premier rang des accusés, le choix des titres interprétés : quatorze reprises plus ou moins connues, plus ou moins pop, toutes écrites entre la seconde moitié des années 60 et le début des années 80, allant d'Alan Parsons Project à Toto en passant par Pink Floyd, les Stones et les Doors. Sans porter de jugement sur la qualité musicale de chaque morceau (chacun ses goûts), c'est surtout la disparité des styles musicaux qui surprend. On a rarement envie d'écouter à la suite 'Wish You Were Here' et 'I'm Not In Love', 'For The Love Of Money' et 'Blinded By The Light', 'Old Man' et 'Africa', même si on aime tous ces titres pris individuellement. Le manque de fil conducteur entre ces chansons, le grand écart auditif auquel on se trouve parfois contraint nuisent au pouvoir de séduction de l'album.
Second défaut majeur, l'interprétation manque singulièrement de conviction. Les reprises sont des copies conformes ou peu s'en faut des originaux, jouées avec l'énergie d'un gastéropode apathique. Evidemment, avec une telle pléiade d'invités, ça joue bien et parfois avec des fioritures du meilleur effet, mais l'ensemble est interprété sans enthousiasme et de manière bien mollassonne, façon bande de potes qui s'éclatent au fond d'un garage à imiter leurs idoles. Une façon comme une autre de s'amuser, mais qui ne mérite pas d'être immortalisée sur CD. Quelques bons moments quand même, comme le sax sur 'For The Love Of Money', le solo d'orgue sur 'Riders On The Storm' ou la touche de violon sur 'Old Man'. Et une bizarrerie : qui aurait pensé que Rick Wakeman pianoterait un jour sur un truc aussi pop que le 'I'm Not in Love' de 10cc ? Les nombreuses arabesques qu'il ajoute à l'original ne rendent pas pour autant la chanson moins sucrée.
Et le groupe dans tout ça ? Un peu transparent, noyé qu'il est dans la masse de ses invités. Roye Albrighton se fend bien de quelques beaux passages de guitare mais n'est guère convaincant comme chanteur. Il nous donne d'ailleurs le fin mot de l'histoire, avouant que les chansons ont été choisies par le label et qu'il en appréciait vraiment quelques unes. Ce qui laisse à penser qu'il en est d'autres qu'il n'aimait pas plus que ça. Malheureusement, cela s'entend !