Emerson reprend du Emerson ! Enfin, presque ... le très célèbre clavier d’ELP continue son chemin avec le guitariste Marc Bonilla au sein de Keith Emerson Band et s’offre les services du Münchner Rundfunkorchester pour publier une version orchestrale de certains des succès du combo, sous l’étiquette du Three Fates Project, un clin d’œil au premier album d’ELP.
Les aficionados du génial claviériste qu’a été Keith Emerson se souviennent avec méfiance que ce n’est pas dans les réalisations orchestrales qu’il a été le plus à l’aise : en témoignent quelques albums solo (“Inferno”, entre autres), ou le mégalo “Works I” - la version de ‘Pirates’ en live et sans orchestre est très supérieure ... Car quand il manque le Hammond, les vocaux et la batterie des morceaux d’ELP, que reste-t-il ?
Réponse : un mélange incertain, entre guimauve et mélasse, se vautrant parfois dans le pompeux (‘Fanfare for the Common Man Pt1’), souvent en très grand décalage avec les versions originales (‘Abaddon’s Bolero’, à oublier de toute urgence). Car comme dans tout album de reprises, il est plus que tentant de comparer avec les premières exécutions, autrement plus dynamiques et typées que ces très pâles copies. Sans rentrer dans les détails que seuls les fans inconditionnels liraient jusqu’au bout, prenons le morceau épique par excellence, le mythique “Tarkus”, qui avec “Supper’s Ready” ou “Meddle” (entre autres) a donné toutes ses lettres de noblesse au genre. Rappelons que “Tarkus” est l’histoire d’un monstre mécanique assoiffé de batailles, qui règne par la terreur et sera finalement vaincu. Le gros ralentissement de tempo est déjà en contradiction avec cet esprit de chaos. Et la pesanteur orchestrale, ainsi qu’une batterie désespérément plate et mécanique, se chargent de noyer le propos dans la confiserie la plus inoffensive ; ‘Mass’ est un désastre limite ringard, ‘Manticore’ est statique, quant à ‘Stones of Years’, elle navigue sur un océan de confiture ...
Finalement, ce sont les compositions originales qui s’en sortent le mieux. La pièce concertante ‘All of This’, signée Emerson et soigneusement composée, fait montre d’un classicisme un peu laborieux mais tout à fait écoutable. Marc Bonilla signe également deux titres nouveaux, les meilleurs du lot (et curieusement sans guitare !) : ‘Walking Distance’, dans un esprit Debussy tout à fait appréciable, où la batterie est peut-être de trop, et le trop court ‘Morning Sun’ dont l’ambiance déchirée rappelle l’adagio de Barber. Ces deux titres sont bien supérieurs à la reprise de son ‘American Matador’, lui aussi beaucoup trop édulcoré par rapport à la VO ...
Même les reprises de morceaux “classiques”, un point fort d’Emerson, sont à la peine : la deuxième partie de ‘Fanfare for the Common Man’ se perd dans un dialogue guitare-claviers très improvisé, un exercice qui n’a que très peu d’intérêt dans un album studio. Quant à 'Malambo' (déjà présent sur l'album précédent), la version développée ici consiste à rajouter une batterie et quatre petites mesures de guitare sur une pièce orchestrale déjà riche en percussions et dynamique à l’origine...
Tout fan d’Emerson aura bien du mal à pardonner ces contresens et erreurs d’interprétation, venant d’un des claviéristes les plus flamboyants de sa génération, qui ne nous livre ici qu’une copie dénaturée d’une partie de son répertoire ... Revenez vite au Moog et au Hammond, Mr Emerson !!