Le nom de Lalle Larsson ne vous est peut-être pas trop familier et pourtant, c'est ce claviériste surdoué qui illumine les deux derniers albums de Karmakanic de son jeu polymorphe et aussi ceux des Agents Of Mercy de Roine Stolt. Lalle a d'ailleurs joué en première partie des concerts des Flower Kings, seul sur un clavier, donnant une réinterprétation très différente de ses compositions par rapport aux versions studio.
Avec ce "Nightscapes", notre homme en est à son troisième album instrumental sous son nom. Il est secondé par des musiciens connus ou moins connus mais tous très brillants, à commencer par le bassiste virtuose Jonas Reingold, particulièrement mis en valeur ici et le guitariste soliste hollandais Richard Hallebeek, un technicien hors pair aussi à l'aise sur les passages acoustiques délicats que sur les riffs agressifs mais surtout remarquables lors d'envolés solistes fluide dignes des plus grands guitaristes de fusion jazz rock. Le jeune batteur suédois Mickael Walle Wahlgren qui a joué avec Agents Of Mercy est tout aussi impressionnant.
"Nightscapes", comme les précédents album du projet Weaveworld, échappe à toute classification rigoureuse… Ici, se côtoient de manière parfois improbables des élements de rock progressif assez classique, de jazz fusion, de musique classique et de metal et ce, éventuellement sur le même morceau – comme ce tourbillon époustouflant qu’est "Insomnia", à la fois lourd, dissonnant, étrange et contrasté ! Ce côté plus heavy et sombre qui rappelle légèrement Planet X se retrouve notamment sur "Zero Hour" et sur un ou deux parties de l'énorme "Nightscapes Suite".
Plus proche d'une certaine forme de rock progressif aux tendances symphoniques mais avec des éléments de jazz fusion, "A Dream Of A Thousand Waves" joue lui aussi sur les contrastes, à ceci près que les motifs mélodiques et le côté orchestral dominent globalement. Une section lente au premier tiers rappelle à certain les grandes heures du premier album de UK avec un solo de Richard Hallebeek digne d'Allan Holdsworth vers 1978, où le guitariste adoptait un son un peu moins lisse. Autre pièce immédiatement accessible, "Rainbow's Gold" démarre avec une belle partie acoustique pleine de lyrisme mais toujours avec un style jazz rock avant de s'électrifier et de s'accélérer progressivement sur un thème ample et très accrocheur.
Quelque soit le genre, Larsson fait preuve d'un savoir faire impressionnant et d'une versatilité rare, aussi bien au piano qu'aux synthés, mêlant des timbres orchestraux, de l'orgue, du mellotron, et d'autres plus proches du minimoog ou d'autres textures tourbillonnantes pour les solos (d'une fluidité époustouflante !) qui nous renvoient aux années 70 et à Chick Corea. Le claviériste rappellera à certains le fantastique Jens Johansson connu pour sa participation au groupe de Yngwie Malmsteen dans les années 80 et depuis longtemps membre de Stratovarius mais qui a aussi enregistré plusieurs albums jazz rock avec son frère Anders (dont l'impressionnant "Fission" et "Heavy Machinery" avec Allan Holdsworth)
Même s'il est de toute évidence amateur de musique classique moderne assez dissonnante, Larsson peut aussi émouvoir avec des pièces lentes et très mélodiques, sur lesquelles il caresse délicatement les touches d'un piano, comme sur "Nocturne" et le trop bref "Dawn Sheds A Final Tear" empreints d'une mélancolie post-romantique qui rappelle vaguement les moments les plus inspirés d'Erik Satie et de Claude Debussy.
Bien sûr, la pièce de résistance est la longue suite qui a donné son titre à l'album, un morceau d'une ampleur et d'une complexité rares, qui est basé sur des tempos lents pendant plus du premier tiers (rappelant ainsi le doom metal). "Nightscapes suite" compte pourtant de multiples changements de rythme, de tonalité, de mélodie. Le morceau laisse une grande place au piano, avec des influences classiques diverses, mais souvent assez modernes. On y retient assez vite, entre autres, une coda lente et pesante, basée sur un riff de guitare menaçant, et une accélaration progressive vers le final plus accrocheur sur le plan mélodique, mais il faudra de nombreuses écoutes pour apprivoiser plusieurs sections dissonantes. Néanmoins, le claviériste y a inséré aussi des moments calmes et mystérieux.
La musique de Lalle Larsson est aussi difficile d'accès qu'elle en est fascinante. Le musicien mérite que l'on s'attarde sur son œuvre originale et pleine de rebondissements, réalisée avec un savoir-faire très appréciable. La production est tout bonnement impeccable, chaque instrument est parfaitement audible sans écraser les autres. La batterie en particulier est puissante mais feutrée et naturelle. Lalle Larsson fait partie de ces musiciens éclectiques à l'extrême et désireux d'intégrer diverses influences au sein de leur musique au risque de dérouter l'auditeur. Mais l'amateur de rock progressif étant censé être ouvert à la nouveauté, ce "Nightscapes" réservé à des oreilles aguerries devrait en étonner et en ravir plus d'un !