Parfois, pour bien appréhender un album, il est important de le resituer dans le contexte de sa création. Ce travail est nécessaire pour comprendre "A Night At The Opera", 7ème album des Allemands de Blind Guardian. Avec leur opus précédent, ils avaient côtoyé le sublime et atteint le paroxysme de leur art et, alors que le style est au sommet de son succès, ils vont mettre 4 longues années à peaufiner cet album et ses 10 compositions en compagnie de Charlie Bauerfeind. Le groupe va y entamer un profond virage musical, renonçant complètement au speed métal pour proposer un power à tendances progressives et orchestrales, avec nombre de chœurs, d'arrangements complexes et d'effets multiples, le tout soutenu par un son dense et assez lourd. Ce disque avait fait son effet grâce à la réputation du groupe et la mode du moment, mais tout cela a mal vieilli. "A Night At The Opera" souffre d'une richesse musicale excessive et d'un côté lourd qui ne décolle que rarement. Blind Guardian a voulu trop en faire et a perdu cette mélodicité immédiate qui faisait son charme, cela alors que cet album était censé revenir à des choses plus directes.
En faisant abstraction du son dense et trop compressé, on devine de bonnes choses et des morceaux corrects. "Precious Jerusalem" ouvre les hostilités avec une certaine efficacité, la facette mélodique et épique y est présente, notamment au niveau des guitares, et quand Hansi chante les couplets, il le fait avec une belle conviction. On regrettera juste qu'il force autant sa voix, sur un refrain trop typé power métal, pour convaincre complètement. A côté de cela, il y a deux éclairs: "The Maiden And The Minstrel Knight" est la ballade médiévale classique mais elle fait un bien fou au milieu de ce déluge power métal. Hansi y chante avec conviction, les chœurs sont usés à bon escient et le ton général est rempli de cette nostalgie épique qui faisait la force des disques précédents. D'autre part, "And Then There Was Silence", monstre de 14 minutes, donne l'impression que le disque a été écrit pour pouvoir sortir cette chanson. Renvoyant à "Nightfall In Metal-Earth" sur lequel il aurait brillé, ce titre mixe les meilleurs éléments du groupe. On se retrouve propulsé dans un voyage fantastique, comme dans une quête des anciens temps, avec passages épiques, heavy et médiévaux, le tout dominé par des passages de chants majestueux. Hansi s'y donne comme il l'avait rarement fait avant et les chœurs ajoutent à ce sentiment de grandeur ressentie tout le long de la chanson.
Mais au-delà du souci de la production très lourde, Blind Guardian rencontre surtout un problème majeur: son inspiration, qui semblait sans fin, est un peu en berne avec des titres très moyens voire même carrément médiocres. Pas mal de morceaux semblent artificiels. Trop surchargés, ils sonnent quasiment comme une auto-caricature. "Battlefield" est plombé par des chœurs omniprésents et fatiguant, et une complexité qui l'est tout autant. "Under The Ice", "Sadly Sings Destiny", ou encore "Wait For An Answer" et "Punishement Divine", sont très banales, sans accroche particulière, la dernière étant même bien trop typée power métal pour convaincre. On ressort rincé et usé par tant d'artifices cachant un manque d'une ligne directrice claire.
Trop maladroit, "A Night At The Opera" est le premier véritable faux pas d'un groupe que l'on pensait pourtant capable d'éviter ce genre d'écueils. En oubliant ses racines, Blind Guardian perd son âme et une grande partie de son charme que l'on retrouve en de biens trop rares moments. En devenant enfin un nom respecté du métal, il semble qu'il ait cédé à la pression des modes du moment, et il y a laissé sa fraicheur. Il reste à espérer qu'il se reprenne vite.