En un disque, "Dusk And Her Embrace", Cradle Of Filth s'est fait un nom dans le milieu métallique européen. Il vend bien ses disques, ses tee-shirts sont partout dans les concerts et, avec son amour pour le heavy, il a attiré à lui nombre de fans non amateurs d'extrême. Le groupe est à la mode et, de ce fait, il est encore plus haï par les tenants d'un black métal pur et dur. Mais Dani Filth s'en moque et il va proposer un projet encore plus ambitieux pour le 4ème chapitre des aventures du groupe: un concept-album sur la vie de la comtesse hongroise, Elizabeth Bathory, dont la réputation de tueuse et amatrice de sang de jeunes vierges ne pouvait qu'attirer le groupe anglais. Pour cet album, Cradle Of Filth va particulièrement soigner son apparence: de son nouveau clavier, le charismatique Lecter, à son livret et ses photos, il fait preuve d'un très grand professionnalisme, loin de l'amateurisme parfois revendiqué de la scène black métal.
Et la musique dans tout cela ? Elle suit le chemin emprunté lors des précédents albums, avec ce mélange savant de black symphonique, de heavy thrash et de gothique romantique. Le seul point négatif vient de la production du disque qui sous-mixe fortement la batterie et manque de puissance au niveau des guitares. Mais ce problème s'oublie vite au vu de la qualité de l'ensemble. Cradle maitrise son concept sur le bout des doigts et l'univers froid et gothique de la comtesse Bathory lui va comme un gant. Une nouvelle fois, il signe un hymne glacé à la décadence, la luxure, sans jouer la carte du satanisme comme beaucoup, mais avec une telle absence de morale que cela ferait frémir n'importe quel tenant de l'ordre moral.
Ce concept est un tourbillon de violence, de romantisme sanglant, avec des chansons flamboyantes, remplies d'une ambiance morbide, qui font revivre la comtesse avec une rare intensité. Ainsi, "Cruelty Brought Thee Orchids" et "Beneath The Howling Stars" naviguent entre passages gothiques (la voix de Sarah Jezebel Deva fait encore merveille liée au ton grave de Dani) et passages aux claviers donnant à l'ensemble le ton sombre et symphonique nécessaire. Le tout est magnifié par des riffs heavy qui contribuent à l'instauration de cette atmosphère de folie. Avec "Venus In Fear", instrumental au piano, et "Desire In Violent Overture", on entre chez Elizabeth Bathory: ce titre court et agressif est construit dans un pur esprit black, sans fioriture, et exprime bien la violence de l'histoire. Cette violence évolue sur "The Twisted Nails Of Faith" qui retrouve des atours symphoniques croisés à une musique exaltée et sans compromis. Avec "Bathory Aria", Cradle nous achève en plus de 11 minutes de virtuosité, avec un titre en 3 parties formant le cœur de son histoire. Très cinématographique dans son approche avec nombre d'intermèdes parlés, musicaux et autres breaks, la chanson nous plonge dans la folie jusqu'à la fin de la comtesse. Le tout est servi par une musique variant de la brutalité la plus noire à un romantisme symphonique très prenant, créant ainsi une atmosphère funeste très intense qui fait de ce titre un de meilleurs jamais composé par le groupe. Enfin, "Lustmord And Wargasm" retrouve la violence pour achever avec brio une histoire maléfique qui aura marqué au fer rouge l'histoire de la Hongrie.
Avec ce disque, Cradle Of Filth propose une œuvre fascinante et tutoie un sublime qui aurait été atteint avec une meilleure production. Malgré cela, "Cruelty And The Beast" s'affirme comme un immense cru et comme l'un des meilleurs albums du genre. Il ne réconciliera pas le groupe avec la scène black métal mais il assoit la popularité et la force artistique d'une formation hors normes.