Mine de rien, cela faisait longtemps que les Finlandais ne nous avaient pas rendu visite, depuis 2006 en fait et la doublette Maaäet/Airut : Aamujen, ce dernier ayant été en réalité gravé deux ans plus tôt sous le nom d'Airut. Tenhi n'a pas pour autant déserté nos oreilles pendant cette longue absence puisque, entre la somme Folk Aesthetic 1996-2006 et la participation au recueil Whom The Moon A Nightsong Sings, nous avons eu de quoi épancher notre soif de ce néo-folk glacial qui n'appartient réellement qu'à ses auteurs. N'empêche, c'est avec impatience que nous attendions une véritable nouvelle offrande, incarnée aujourd'hui par Saivo.
Du haut de ses 70 minutes, il va sans dire que ce cinquième album n'est pas aisé à décrire tant sa richesse s'avère foisonnante. Il y a tellement de choses à dire dessus, que les mots, les phrases s'entrechoquent car nous ne savons pas par où commencer. Peut-être déjà par une rapide présentation destinée à combler l'ignorance de ceux qui ne connaîtraient pas cette formation aussi rare que précieuse. Depuis 1996, Tenhi sculpte une musique minimaliste et acoustique minée par une mélancolie immense. Froide et squelettique, elle reste la plus juste expression sonore de la beauté solitaire des paysages finlandais faits de lacs et de forêts. Plus qu'une autre, elle invite à l'introspection, à l'isolement.
Kauan, Väre, et surtout Maaët, ont figé dans la terre gelée ces traits dessinés par des guitares d'une sécheresse boisée, des percussions légères, des notes de piano grêles et le recours à des instruments tels que violon et harpe. S'il s'inscrit dans ce cadre très personnel, Saivo paraît pourtant moins noir que ses prédécesseurs ("Uloin"), bien que toujours aussi froid. Ce qui ne signifie absolument pas que le groupe ait perdu en puissance d'évocation, bien au contraire. Alors certes, tout n'est pas indispensable dans cet opus rempli jusqu'à la gueule. Dans ces moments-là, Tenhi paraît presque faire du remplissage, à l'image de "Surunuotta" ou de "Savoie".
En poussant un peu, et ne serait-ce la présence en guise de conclusion du mortuaire "Siniset Runot", hivernale pièce de plus de dix minutes dont le souffle lugubre se conjugue à une beauté tragique, on peut même affirmer que l'œuvre souffre d'une seconde moitié au relief plus plat. Mais il y a aussi, et surtout, tout ce pan initial qui procure des frissons. Le talent des Finlandais emporte tout. Comment résister à ces lignes de violons osseuses ("Pojan Kiiski"), à ces notes de pianos glaciales ("Saivon Kimallus") ou à ce chant empreint d'une désincarnée solennité ("Pienet Purot") ?
Souffrant de longueurs incontestables, Saivo n'est sans doute pas le chef-d'œuvre de ses géniteurs dont le sommet a été sûrement atteint par Maaäet, mais plutôt que de trop le regretter, mieux vaut l'accueillir comme un signe de vie supplémentaire de la part d'un groupe unique dont l'art reste plus que jamais insaisissable.