Les raisons qui font qu'on s'intéresse à la musique d'un artiste ou d'un groupe sont multiples. La plus répandue est sans doute le bien-être que représente le simple plaisir de fredonner à l'unisson ou de se taper en rythme sur la cuisse un air répétitif et facilement mémorisable. D'autres plus exigeants apprécieront la complexité des mélodies, l'enchevêtrement de thèmes savants. Certains se laisseront dériver au son de nappes fantomatiques à en être glaciales quand d'autres préfèreront se défouler sur d'électrisants rythmes tribaux. Si certains considèrent qu'en musique tout doit être à sa place et que la moindre note doit être maîtrisée, d'autres sont sensibles au charme des dissonances, des excentricités sonores, des approximations qui génèrent en eux des émotions floues, les rapprochant d'un monde onirique dans lequel leur esprit s'évade.
Bref, il y a mille et une raisons d'aimer la musique, et aucune n'est meilleure que les autres. Le nouvel album des Suisses de Lilium Sova doit donc probablement trouver son public. La question est de savoir à quel public il s'adresse. Assurément pas aux amateurs de mélodies harmonieuses ni à ceux de chansons "classiques". Si vous aimez les airs dansants, oubliez, à moins d'être atteint de troubles chroniques de synchronisation des mouvements. Ceux qui cherchent l'évasion méditative se tiendront éloignés de l'objet sous peine de séquelles irréversibles. Pas question non plus de virtuosité au premier sens du terme : difficile à juger, les musiciens s'évertuant à utiliser leurs instruments à contre-emploi, donnant parfois l'impression qu'ils en jouent à coups de marteau, et ayant une attirance évidente pour les sons saturés, les rythmiques frénétiques et les basses lourdes.
S'il faut user de qualificatifs pour décrire ce maelstrom sonore, assurément les termes hardcore, free jazz et noise ne sont pas déplacés. Le résultat obtenu se résume en sons agressifs, saturés, distordus, dissonants, un empilement de bruits, une superposition de couches sonores souvent disgracieuses. Les mélodies sont rares (le répétitif 'Ondine's Curse', le début et la fin du morceau fleuve 'Epic Morning'), les instants de repos guère plus fréquents ('Parasomnia' et ses miaulements de sax, 'Epic Morning' derechef). Un seul titre est chanté ('Dawn Of Sweet Villain'), enfin … éructé, hurlé, vociféré, vomi façon death metal, serait plus juste. Romantiques s'abstenir.
Les musiques déstructurées et expérimentales se doivent de compenser leur absence d'harmonie par l'installation d'atmosphères propres à susciter les sentiments les plus divers, bien souvent l'angoisse, la peur, la frustration ou le désespoir mais aussi parfois à entrainer l'auditeur vers des contrées oniriques inaccessibles à des formats plus classiques. "Epic Morning" ne contient malheureusement que trop peu de ces instants magiques pour nous permettre de supporter stoïquement son écoute.