Quatrième offrande de Pestilence, alors le meilleur pourvoyeur hollandais en métal de la mort, Spheres s'avère aussi être son champ du cygne, ce qui est à la fois surprenant et évident.
Surprenant tout d'abord, eu égard à la qualité indiscutable de cette ultime galette qui s'inscrit dans la continuité de son prédécesseur, le superbe Testimony Of The Ancients, lequel peut être considéré comme son chef-d'œuvre. Il emprunte donc un sillon similaire, celui du techno-death, alors en vogue suite aux travaux de Nocturnus, de Cynic (Focus, publié la même année) et ceux de plus en plus techniques de Death. Mais avec intelligence et courage, Pestilence, et celui qui s'est peu à peu affirmé comme son incontestable leader, le guitariste et hurleur Patrick Mameli, ont décidé de s'aventurer encore plus loin et d'arpenter un chemin inconnu.
Le résultat est ce Spheres qui ne ressemble en effet à rien de connu. Si le chant vociféré fonctionne comme une balise au milieu de cet océan d'expérimentations, la structure des chansons, d'une complexité labyrinthique, les influences jazz-rock en provenance de l'œuvre du 'gratteux' virtuose Allan Holdwarth, une batterie plus proche du jeu de Bill Bruford que des blastbeats habituels et le recours aux synthétiseurs, accouchent de titres d'une autre planète, à l'image du bizarroïde "Personnal Energy", étonnamment mélodique avec sa guitare jazzy, bien qu'habité d'une voix trafiquée, d'intermèdes instrumentaux de toute beauté ("Aurian Eyes" et "Voices From Within") et de morceaux à la simplicité d'un théorème mathématique, aux confins du progressif ("Spheres", "Phileas", "Demise Of Time"). Cela dit, nos 'Hollandais violents' n'ont rien à voir avec des trucs biscornus comme Watchtower. La musique demeure diablement extrême et ne peut prétendre passer pour autre chose que du pur death-metal des familles.
Evident enfin, car Pestilence, en plongeant tout seul dans l'inconnu, sans un fil d'Ariane derrière lui pour permettre à ses fans de le suivre, se voit condamner à larguer ceux-ci sur le bord de la route. Trop en avance sur son temps, Spheres traversa les écrans radars sans parvenir à trouver son public, contrairement à Testimony Of The Ancients, habile compromis entre respect des traditions et modernité. Aujourd'hui encore, en dépit de l'évolution constante du métal, musique protéiforme s'il en est, cet album reste un OMNI unique, c'est ce qui en fait toute sa valeur.
Au final, nous ne pouvons que regretter qu'un groupe aussi talentueux et novateur ait si vite disparu, un peu à l'instar de Coroner à la trajectoire similaire, même si Pestilence se reformera quelques années plus tard, sans toutefois renouer avec le génie qui l'habitait à l'époque de Spheres...