Pas facile de caractériser la musique de Thieves’ Kitchen. Le groupe se définit lui-même comme “défiant les lois du genre”, en proposant une musique ancrée dans le progressif des origines aussi bien que dans le jazz. Leur cinquième album, “One For Sorrow, Two For Joy”, reste dans cette optique, mêlant les sonorités vintage à des accents plus fusion, et en proposant des titres de bonne longueur (entre 7 et 13 minutes), propices aux développements complexes.
La présence de la flûtiste et claviériste d’Anglagard apporte une coloration que les fans du groupe suédois reconnaîtront facilement : la large utilisation de sons de Mellotron donne un cachet légèrement rétro, contrebalancé par l’utilisation d’une basse bien présente (et mélodique) et de guitares plus modernes. La partition vocale est très bien assurée par Amy Darby, indéniablement l’atout charme de “One For Sorrow” (cf la ballade ‘The Weaver’, bien maîtrisée vocalement).
Au sein de cette ambiance nostalgique se détachent des passages agréables, tels ‘Hypatia’ ou l’intro de 'Of Sparks and Spires', très réussie avec son piano lancinant. Pour autant, l’écoute n’est pas aussi fluide que les premiers accents pourraient le laisser penser : là où Anglagard laisse se développer les thèmes dans un style prog-symphonique intimiste, Thieve’s Kitchen refuse la linéarité en juxtaposant les mesures asymétriques, en changeant légèrement de tonalité, etc ... la musique des Thieves’ n’est assurément pas de celle qui se fredonne sous la douche ! S’il faut saluer la fusion des genres - le piano, entre autres, apportant une touche jazzy à ce progressif qui pourrait sans cela paraître trop traditionnellement tranquille, la réserve qui peut être objectée réside dans la difficulté à appréhender une mélodie, une ligne directrice.
Le style, en restant à la croisée de trois chemins - le prog symphonique tendance intimiste, le jazz et le vintage, n’arrive pas à convaincre totalement, révélant une maîtrise technique plus qu’honorable, mais manquant de chaleur pour emporter l’adhésion ... Un plaisir d’esthète plutôt intellectuel, froid et dompté, laissant assez peu de place aux émotions. Moins brillant qu’Anglagard dont il s’inspire fortement, Thieves’ Kitchen maintient l’auditeur à distance, délaissant souvent la dimension “plaisir” qui accompagne les opus totalement réussis... Dommage...