Bien que dans la continuité de "Sweet Freedom" publié l'année précédente, "Wonderworld" annonce déjà, par son orientation musicale légèrement plus commerciale, son successeur : "Return To Fantasy". Ce dernier album avec le line-up classique du groupe (soit Byron, Hensley, Box, Thain, Kerslake) marque aussi le début du tarissement de l’inspiration des cinq musiciens. Il faut dire que depuis 1970, ils enchaînent les sorties et que fatalement vient un moment où la qualité commence à s’en ressentir. De l'aveu même du groupe, entre l'accoutumance grandissante des uns (l'alcool pour Byron, la drogue pour Thain qui décèdera l'année suivante d'une overdose) et les problèmes émotionnels de Ken Hensley, cet opus compte parmi ceux dont la réalisation fut la plus ardue.
De fait, la qualité de "Wonderworld" s'en ressent. Non pas qu'il s'agisse d'un mauvais disque, loin de là (ses auteurs feront bien pire par la suite), mais Uriah Heep en s’éloignant peu à peu de ce qui faisait son identité, à savoir ce mélange de hard rock british et de progressif, qu'animent, entre autres, le son d’orgue de Ken Hensley et la voix chaleureuse de David Byron, perd de fait une partie de son charme. Une vraie dynamique de groupe s’est instaurée au fil des ans, tous les musiciens mettant timidement la main à la pâte mais on préférait peut-être lorsque que l’organiste écrivait quasiment seul l’essentiel du répertoire comme sur les premiers opus. Toutefois, le crédit des quatre autres membres sur certains titres ne saurait masquer la mainmise d'Hensley sur le groupe, pouvoir qui plus est renforcé par le manager Gerry Bron.
Malgré un contexte difficile et peu propice à la création, le menu présente encore quelques bonnes chansons, notamment les plus pêchues du lot telles que 'Suicidal Man' ou le remuant 'So Tired'. Dans un registre plus lent, 'I Won't Mind' n'est pas sans intérêt, grâce au jeu du mésestimé guitariste Mick Box alors que l'on pouvait attendre mieux du titre éponyme après sa formidable intro. La doucereuse ballade 'The Easy Road' à la discrète coloration symphonique et surtout 'Dreams', seul morceau à posséder cette dimension épique que l’on aime tant chez le Heep, complète les moments les plus notables d'un disque qui a au moins eu le mérite de développer certaines idées.
A l’écoute de "Wonderworld", on comprend sans doute mieux pourquoi le groupe est toujours demeuré dans l’ombre de Deep Purple ou de Queen. Telle est la leçon que l’on peut tirer de cet album, certes bien fait, mais inférieur à ses prédécesseurs qui eux laissaient penser que le groupe avait le potentiel pour marquer l’histoire du genre davantage qu'il n'a su le faire.