Seriez-vous de ceux qui aiment se pelotonner confortablement dans une salle obscure en savourant quelques popcorns pour regarder en frissonnant un bon vieux film d'épouvante ? Dans votre adolescence, avez-vous lu le cœur battant jusqu'au beau milieu de la nuit "Frankenstein" de Mary Shelley, "Dracula" de Bram Stoker ou l'intégrale d'H.P. Lovecraft, sursautant violemment au moindre craquement du bois ? Ou, encore plus jeune, étiez-vous friand de ces contes de fée emplis de sorcières laides et cruelles, de monstres épouvantables qui vous tenaient longuement éveillé une fois la lumière éteinte ? Oui ? Alors, réjouissez-vous, la musique d'Antonius Rex devrait vous plaire.
Antonius Rex est, comme son nom ne l'indique pas (encore que le latin soit l'ancêtre de l'italien), un groupe transalpin à géométrie variable dont Antonio Bartoccetti constitue la constante depuis 1974, même si le groupe existait précédemment sous le nom de Jacula. Doris Norton a quitté le groupe, cédant sa place aux claviers à Rexanthony (le fils de Bartoccetti et de Doris Norton) qui passe ainsi du statut d'invité sur les précédents albums à celui de membre à part entière. Monika Tasnad complète le trio, assurant, outre les witch vox, le redoutable rôle de médium. Quoi de plus naturel pour une musique venant de l'au-delà ?
Car la musique d'Antonius Rex vous plonge dans un monde ténébreux où goules, vampires et revenants semblent être les seuls habitants. On entre dans le vif du sujet dès l'introduction d'"Hystero Emonopathy" : le souffle d'un vent glacial vous accueille avant que ne retentissent des percussions guerrières auxquelles succèdent un orgue fantomatique, des bruits angoissants et des hoquets effrayants. Le groupe installe immédiatement une ambiance sombre dont il ne va plus se départir. Les titres enchainent des successions de thèmes mélodiques qui tournent en boucle sur quelques notes. Pour varier les plaisirs, le thème est joué plus ou moins vite, plus ou moins fort et avec des instruments différents. Régulièrement, les thèmes changent sans véritables transitions si ce n'est l'utilisation répétée de voix masculines et féminines qui tantôt soupirent, tantôt murmurent avec malveillance, tantôt crient de désespoir. La musique sert avant tout à instaurer des climats, ce qui n'exclue pas de courts solos de guitare joués avec dextérité. Pas véritablement de chant si ce n'est de temps à autres ceux de chœurs plus ou moins aériens mais toujours funèbres.
Si l'album présente une atmosphère très homogène, les titres sont néanmoins suffisamment variés pour éviter de sombrer dans l'ennui. Les guitares alternent riffs pesants, sons saturés et envolées héroïques, des orgues sépulcrales croisent des pianos cristallins, la percussion lourde fait place aux résonnements des cymbales, au frappé martial d'un tambour et à quelque gong solennel. Certains morceaux nous plongent en plein bas moyen-âge, avec tout ce que l'imagination le peuple de cruauté, d'obscurantisme et de cataclysmes ('Hystero Emonopathy', 'Are Mine', 'Witches'). D'autres s'ouvrent sur les abysses de l'enfer ('Demonic Hysteria', 'The Devils Nightmare', 'Possaction') où retentissent cris d'horreur et de douleur. D'autres enfin s'ancrent dans une musique romantique, sensuelle et sombre à la Tim Burton ('Suicide Goth', 'The Fatal Letter').
Certes, l'album souffre de quelques longueurs : la longue incantation psalmodiée au début de 'Disincantation', la litanie de 'Witches' ou les trois dernières minutes de 'Possaction' constituées uniquement de cris et de voix distordues ne seront pas au goût de tout le monde. Néanmoins, ces passages contribuent à construire les ambiances angoissantes et dramatiques de ce disque qui, pour peu qu'on y soit sensible, font d'"Hystero Demonopathy" le compagnon idéal d'une nuit sans lune dans une demeure lugubre perdue sur une lande désertique.