Ce qui est certain, avec un groupe comme Jack Dupon, c'est que tout nouveau disque est prétexte à une découverte aventureuse dont on ne sait jamais à l'avance jusqu'où nos quatre trublions vont pousser l'audace et l'inventivité. Autant prévenir tout de suite : "Jésus l'Aventurier" n'est pas l'album de la sagesse et livre, comme à l'accoutumée, son lot de folie, d'exubérance, de bizarrerie et de blagues potaches. Ouvrons la boîte de Pandore …
D'après leur site officiel, "Jésus l'Aventurier" serait un concept-album autour de divers "monstres" et "aventuriers". Soit, acceptons-en la définition, même si le mélange paraît assez hétéroclite. Quel point commun trouver à Mata-Hari, Ulysse, Raymond La Science, Raspoutine, une ânesse, Butch Cassidy, Jack London et le premier chien dans l'espace ? Peut-être est-il inutile de chercher, la fantaisie dont le groupe est fortement dotée ayant seule présidé au choix de ces personnages qui donnent chacun leur nom à un morceau. Répartition assez inégale d'ailleurs : si Raymond La Science, Butch Cassidy et Modestine l'ânesse ont droit à de longs développements, les autres titres, excepté 'Ulysse', se limitent à une poignée de secondes, jouant le rôle de transitions toutes plus décalées les unes que les autres : 'Margaretha' nous régale d'un chant d'ivrogne couvert par un babil en diverses langues, 'Brynhild' mélange deux voix inintelligibles à une musique goguenarde, 'Grigori' en paraît presque normal avec son thème pressé et angoissant où, pour une fois, la peur et la folie ne se cachent pas derrière l'ironie et l'absurde, 'Alexandra' n'est que tapotements et grincements, 'Laïka' semble tronqué tant la fin est abrupte et 'Jack' dévide un ostinato syllabique et stéréophonique suivi d'une brève conclusion à la guitare.
Les trois longs titres que sont 'Raymond', 'Butch' et 'Modestine' ne sont pas moins originaux, principalement constitués de motifs cycliques, qui évoluent lentement vers une résolution qui se fait attendre, voire qui ne vient pas. La musique oscille entre thèmes outranciers et ridicules et sonorités sombres et angoissantes. La répétitivité fait partie du processus d'intégration : ce qui peut paraître au début simpliste et sans imagination dévoile au fil du temps la richesse et la profondeur qu'une écoute superficielle n'aurait pas permis de déceler. Le chant (peut-on parler de chant ?) est très théâtral, fréquemment à la limite de la caricature, débitant en litanie des phrases sans queue ni tête, à l'exemple de l'entêtant "Raymond, il a perdu sa casquette en tentant de quitter sa cachette jamais il ne la retrouvera" déroulé ad libidum d'une voix d'adolescent demeuré.
Mélange composite de Magma, de King Crimson, D'Art Zoyd, d'Ange mais aussi de thèmes moyen-orientaux, de comptines enfantines et d'airs de tavernes à bière, le monde absurde et décalé de Jack Dupon laissera certainement beaucoup d'auditeurs au bord du chemin. Si les qualités intrinsèques du groupe sont réelles, il est parfois difficile d'adhérer à "Jésus L'Aventurier" qui n'évite pas toujours certaines longueurs et abuse parfois des pieds-de-nez.