Il aura fallu quatre longues années à Clive Nolan pour donner un successeur à “She”. Ce nouveau projet dénommé “Alchemy” ne porte plus le label Caamora, mais “seulement” celui de Clive, un choix voulu par le compositeur, qui préfère garder le nom de Caamora pour l’entité de spectacle, la troupe.
Sir Nolan est ici omniprésent dans l’écriture, la composition, l’exécution, la direction musicale, le chant (le bon héros, c’est lui), la production et même le mixage de l’album. Un investissement personnel énorme qui l’a contraint à prendre de la distance avec ses autres projets (pour mieux y revenir en 2014, que les fans se rassurent !).
Comme Clive a toujours été amateur de concepts (The Visitor, Contagion et autres 7th Degree ... ) ou d’histoires (Jabberwocky, The Hound of Baskervilles), il n’est guère surprenant de le voir s’appuyer sur un scénario élaboré et inédit, à défaut d’être original. Le script, relativement étoffé, peut se résumer à l’histoire d’une quête d’éléments alchimiques, dans une ambiance romanesque et vaguement gothique située au milieu du XIXè siècle. Il y a là de l’aventure à la façon Indiana Jones, de l’amour, bien sûr, un méchant très diabolique, des lieux inquiétants et une kyrielle de personnages secondaires.
Pour mettre en musique cette histoire à onze personnages et douze décors, Clive a choisi de restreindre les éléments orchestraux - ne sont crédités qu’un cor anglais et un violon, pour lequel Clive a écrit des lignes magnifiques (Waiting for News, entre autres) -, mais le travail des claviers fait le reste, et l’ambiance est volontiers symphonique, en particulier vers le milieu de l’œuvre (Highgate ou The Labyrinth, amples à souhait). Il faut également souligner, et c’est un des points forts d’Alchemy, le gros travail effectué sur les harmonies chorales, avec des polyphonies souvent recherchées et très bien trouvées (One for the Noose, Street Fight, Burial at Sea).
Pour situer Alchemy dans l’œuvre de Clive Nolan, il faut bien comprendre qu’il n’a en aucun cas choisi de sonner “rock”, mais de simplement laisser la musique décrire l’histoire, avec des récitatifs parlés (toujours sur de la musique) pour autoriser quelques ellipses qui raccourcissent le propos. Il s’agit bien ici d’une comédie musicale, nullement d’un opéra rock progressif, et cela pourrait bien dérouter les aficionados d’Arena (mais pas plus que ‘She' ...).
Le genre a donc ses codes : pas de gros solo instrumental, pas de démonstration technique, juste des mélodies collant au déroulement du scénario, et de ce point de vue, Alchemy est une franche réussite, ce qui n’est pas une surprise quand on connaît le soin que Clive a toujours apporté pour maintenir une adéquation entre thème musical et propos narratif. De même, il y aura des passages obligés par des chansons romantiques (Amelia, The Girl I Was, Sanctuary, Aftermath) parfois un peu à l’eau de rose, mais toujours bien arrangées et terriblement mélodiques. Les parties les plus intéressantes sont celles qui revêtent un caractère baroque, voire burtonien, trouvant un ton plus original (Highgate, The End Justifies the Means, Burial at Sea, The Ritual).
Clive l’a lui-même dit, dans un musical, le chant peut être plus emphatique (“bombastic”) que dans le rock. Le ton très démonstratif de certains interprètes pourra donc faire polémique : Vicky Bolley évolue parfois dans un registre soprano quasi-lyrique (Share This Dream) tout comme Damian Wilson, et Chris Lewis s’échine à caser des tremolos sur chacune de ses notes (Anzeray Speaks). Par contre, dans un registre très baroque, presque décadent, Andy Sears tire avec brio son épingle du jeu dans un rôle de méchant bien retors (The End Justifies the Means). Clive Nolan n’a peut-être pas réuni une équipe vocale aussi brillante que celles d’Ayreon, mais il faut garder à l’esprit qu’Alchemy a été créé pour la scène (ce qui sous-entend que l’équipe devra voyager pour se produire, une contrainte supplémentaire).
Aussi, si l’écoute du CD peut paraître un peu longue (presque deux heures) et légèrement datée (c’est le genre qui veut ça), il faut d’une part saluer la science du récit et les qualités mélodiques qui transparaissent sur chacun des morceaux de l’opus, et surtout guetter la parution des DVD : la sortie de la première de Katowice, enregistrée le 22 février 2013, est annoncée pour l’automne prochain, et il faut ardemment souhaiter que les prestations britanniques seront enregistrées, car le concert polonais n’était qu’une présentation vocale, alors que les sessions anglaises représenteront l’intégralité de la mise en scène du spectacle, ce pour quoi il a été conçu. Dans sa version CD, Alchemy représente tout de même une démonstration bien aboutie du savoir faire de Maître Nolan, certes moins rock qu’avec Arena, mais pleine de détails attachants qui méritent largement le détour.