Brütal Römance, sans doute le meilleur album du Mörglbl Trio, était la preuve éclatante d’une vigueur créatrice chez Christophe Godin et ses acolytes. Gnô, l’autre groupe du guitariste savoyard, chanté celui-ci, avait sorti un excellent Cannibal Tango en 2011, dix ans après un Trash Deluxe qui n’a pas pris une ride. Nous nous attendions à patienter quelques longues années avant d’entendre le métal très singulier du trio quand l’annonce de la sortie de Crass Palace fut lancée par le truchement du site de Christophe Godin. Nous ne nous étions pas trompés en pressentant la vitalité foisonnante de Godin et ses compagnons car pour ce troisième album de Gnô, Gaby Vegh, Peter Puke et Christophe Godin ont encore frappé fort.

Les ambiances que l’on retrouve dans ce Crass Palace sont à rapprocher de Trash Deluxe ("Momentum") plutôt que Cannibal Tango, un côté ténébreux qu’illustrent parfaitement le décor et la posture des trois musiciens dans le livret du disque. Pour renforcer ce parti pris les rythmes lents sont légions et les guitares vrombissantes, à l’image de la sept cordes du virtuose. Les quatre premiers morceaux impriment ce climat très pesant parfaitement tempéré par les harmonies vocales déployées à l’occasion des séquences hyper mélodieuses ("Momentum" ou "The Scavenger"). Les rythmiques sombres et métal tranchent avec les refrains presque pop du trio, créant un contraste plein de relief et une densité admirables aux titres.

C’est dans ces architectures oxymoriques que Gnô est le plus brillant mais cela n’empêche pas les trois musiciens chanteurs d’exceller dans les formats plus légers comme le metal funk de "The Doll" et "All Life Has Left" ou "Modern Day Jesus" qui sonne comme un bon David Lee Roth période Skyscraper-Eat’Em And Smile (le solo de "The Scavenger" rappelle les interventions de Vai dans Flexable). Hormis le mid-tempo "Fly Free" les douze morceaux sont des brulots rock-metal dont les riffs, finement équilibrés par la technique époustouflante du trio et leur musicalité (l’intro de "Punish Yourself"), sont imparables ("Tooth And Nail") et les airs entêtants (par exemple "Momentum" et "Toy Boy No More").

Tout juste remis de la claque Cannibal Tango que Godin, Vegh et Puke créent la surprise de ce début d’année. Christophe Godin, en charismatique leader, hisse ses compagnons à son niveau d’excellence dans cette formation cohérente, inspirée et capable de faire les choix intelligents entre technique et harmonie. A la base meilleurs musiciens que chanteurs, l’association à trois voix transcende les petits défauts des individualités et c’est là tout le génie de Gnô. Des disques comme Crass Palace, qui consacre une période créative florissante débutée avec Cannibal Tango, on en redemande tous les ans.