Attention, là, on tient du lourd, du rugueux, du qui fouraille les chairs. A vif. Forcément. Comment du reste pourrait-il en être autrement quand on se présente comme l'héritier du tutélaire Breach, pionnier suédois du Post-Hardcore, dont The Old Wind est le projet du chanteur Tomas Hallborn accompagné par deux de ses frères d'arme ? Comment pourrait-il en être autrement quand on sort sa première rumination sur le label Pelagic Records, dirigé par Robin Staps de The Ocean, dont le catalogue est vertigineux de lourdeur (Earthship, Abraham...) ?
Attendu comme le messie depuis longtemps, le voilà enfin, ce Feast On Your Gone. Agglomérant six titres en un peu plus de trente minutes, l'objet a des allures de EP gonflé à la testostérone. Vu l'attente, c'est peu mais néanmoins suffisant car la chape de plomb qui vous tombe dessus n'en est que plus intense, nocive et noire. Suffisant aussi pour mesurer la valeur ajoutée de The Old Wind, quand bien même celui-ci surprend moins que son aîné, la faute à un genre désormais fortement érodé par des suiveurs par palettes entières. On s'est ainsi depuis habitué à cet organe de feu qui crache ses boyaux, dégueule son mal-être et sa haine, deux éléments indissociables du Post-Hardcore.
L'intérêt de Feast On Your Gone est ailleurs dans ses profondes excavations instrumentales, creusées par des musiciens toujours au bord de la rupture. Rouleaux de batterie hypnotique ("The Old Wind"), fugaces lignes de violon squelettiques ("Raveneye"), riffs prisonniers d'une langueur polaire ("Spears Of A Thousand") irriguent ces plaintes suffocantes, blocs de souffrance aux arêtes tranchantes qui bouillonnent d'une sourde puissance. Avec ses faux airs de "Dunkelheit" de Burzum (ses accords répétitifs y font étonnamment penser), "In Fields" charrie un désespoir minéral grâce auquel la température descend tout de suite d'un cran, jusqu'à la mortification finale qu'incarne un "Reign" quasi instrumental et définitif.
Sa (trop) courte durée conjuguée à une trompeuse impression de déjà-entendu ne doivent pas vous faire passer à côté de cet essai dont la brûlante intimité ne s'offre qu'après de longs préliminaires, coups de boutoir plus fins qu'il n'y parait de prime abord. D'une âpreté désespérée, Feast On Your Gone se révèle à la hauteur de l'attente suscitée par l'identité de ses auteurs.