Il est des albums dont la construction peut maladroitement entrainer l'auditeur à des conclusions erronées. Ainsi, après quelques minutes d'écoute du deuxième album du groupe russe Apple Pie, on pense avoir affaire à un groupe de métal progressif clonant avec plus ou moins de réussite Dream Theater. La présence de Derek Sherinian à la production et derrière les claviers, bien discrets il est vrai sur ce premier titre, vient d'ailleurs renforcer cette conviction. Pourtant, que tous les amateurs d'un progressif moins démonstratif prennent patience, celle-ci pourrait bien être récompensée.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le titre éponyme a tout pour réveiller un mort : un tempo rapide, une batterie qui cogne, une grosse basse, des riffs de guitare musclés, un long pont musical nerveux, gorgé de guitares lourdes et même quelques grunts. Si l'ensemble n'est pas dénué de belles mélodies, il ne fait pas dans la finesse. On est indéniablement face à un titre de métal pur jus, progressif par les nombreux changements de thèmes mais qui épuisera vite l'amateur de musiques plus douces.
Pourtant, le ton change avec l'epic en quatre parties 'Letters Of A Deadman'. Changement pas vraiment évident sur l'introduction instrumentale où les longues chevauchées aériennes des guitares sont à peine interrompues de fantaisies orientalisantes mais dès 'Don't Look Back', la virulence des débuts fait place à un progressif toujours dynamique mais moins démonstratif. Les claviers, bien timides sur les deux premiers titres, prennent alors de l'ampleur et viennent rivaliser avec la guitare et la batterie jusqu'alors seules maîtres du jeu. De Dream Theater, on est passé à Spock's Beard ou Pendragon et cette impression ne se démentira plus.
Plus encore qu'aux groupes précités, la musique d'Apple Pie rappelle celle de Neal Morse, faite d'un rock progressif aussi nerveux qu'harmonieux, où les thèmes musicaux s'enchainent avec fluidité comme une évidence, orchestrés avec luxuriance. Les duels guitare/batterie rappellent ceux de Morse/Portnoy. Tout paraît simplement en place, les musiciens sont excellents, chacun donnant l'impression d'être virtuose de son instrument, la prise de son est limpide, les mélodies solaires et enjouées dégagent leurs effluves d'espoir.
Le christianisme serait-il un exhausteur de rock progressif ? Tout comme Neal Morse, Apple Pie marie religion et musique, souhaitant étendre l'influence du rock progressif au sein de la communauté chrétienne et faire connaître les préceptes chrétiens au travers du rock progressif. A cet effet, ils ont notamment participé à la compilation "Christian Progressive Rock (volume 3)" avec Randy George, le 3ème larron des albums solos de Neal Morse.
La foi soulève des montagnes paraît-il ! Toujours est-il qu'elle semble avoir un effet revigorant sur l'inspiration de certains artistes. "The Gates Of Never" déroule sa musique comme un fleuve impétueux mais limpide et majestueux et si les emprunts aux maîtres du genre, Neal Morse et Yes en tête, sont évidents, ils ne gâchent pas le plaisir instinctif qu'on prend à écouter ce bel album.