S'il n'est pas encore officiellement passé de vie à trépas, le fait est que Nehëmah a plus qu'un pied dans la tombe. Loin d'être rassurant, la somme Tomb Of Thoughts 1992 - 2004 qui en 2012 agglomérait la quasi intégralité de ses enregistrements en format vinyle, sonnait en définitive plutôt comme une oraison funèbre, manière de fermer un cercueil ouvert trop tôt, après seulement trois offrandes qui ont contribué à écrire l'histoire du Black Metal hexagonal (ou non).
Corven, son âme noir, enfermé dans un mutisme pesant mais respectable, c'est donc vers Sorghal que l'on se tourne depuis ces quelques années, espérant déceler dans son travail ne seraient-ce que des miettes de l'aura glaciale de Nehëmah. Davantage que Caïnan Dawn, au demeurant excellente horde qu'il a depuis quitté ou que Irrlycht dont il n'est que le bassiste, Nahar est son projet le plus passionnant à suivre. Il y assure le chant cependant que son compagnon et maître des lieux, Shaddar. V.H. se charge des parties de guitare, de basse et de batterie.
Errant dans les caveaux d'un Black Doom lugubre, le groupe édifie pierre par pierre un art vicieusement malsain qui n'appartient qu'à lui. Une fois The Strange Inconvenience digéré, on mesure combien La fascination du pire ainsi que Soulscape et A Moment Of Dead Emotions, ne furent que des ébauches, brouillons néanmoins prometteurs d'une oeuvre grouillante parvenue désormais à maturité.
Plus qu'un écart, c'est un gouffre qui sépare les deux opus. Le socle est identique, sinistre entre-lac de tentaculaires racines d'un noir charbonneux, mais il donne cette fois-ci naissance à un monstre organique sous la peau duquel pulse un fluide charriant une négativité cryptique absolue. Balisé par deux pistes instrumentales dont la plus courte durée ne les exonère ni d'un réel intérêt ni de nourrir l'ensemble d'une ambiance morbide, le coeur de l'album repose sur quatre longues plaintes de plus de onze minutes pour deux d'entre elles. Celles-ci trouvent dans cet espace sonore le temps de dérouler leurs rampantes ramifications que propulsent des guitares dissonantes, lames au son grêle, léchées par la rouille et cisaillant les chairs ("Grey Concrete... Confort").
Ankylosé par un tempo léthargique qui confine à une transe hypnotique, à l'image de "Puryfing Negativity" et sa partie centrale que tricote une rythmique comme suspendue au bord d'un gouffre, chaque titre ne se livre qu'après de lancinants préliminaires, tel ce "Pessimist" dont les premières minutes pulsatives cachent une partie instrumentale aux confins de l'Ambient que vrillent des riffs obsédants.
A sa manière, discrète, Nahar poursuit son chemin, seul et plus que jamais passionnant. Avec The Strange Inconvenience, il signe son travail le plus abouti et sans doute le plus personnel également...