Nous ne dirons jamais assez tout le bien qu'il faut penser de cette scène de Rouen, théâtre d'un foisonnement créatif faisant de cette ville de Normandie une des plus dynamiques de l'hexagone. Rock, Doom, Black Metal sont autant de genres cultivés par des musiciens qui ne cessent de se croiser. Au-delà de ces styles aux codes bien définis, on y croise aussi du protéiforme, de l'inclassable, du métissé. On pense à Yuck par exemple, dont la NASA cherche toujours à comprendre les Do It Yourself et This One Is Good. On pense aujourd'hui à Klymt également.
En fait, cela fait déjà quelques années que le collectif a commencé à faire parler de lui. Deux galettes plus tard et une période de silence consacrée à Postghost, à la fois label et studio d'enregistrement, véritable point de convergence de la scène rouenaise, Hear The Chief Moo Downtown couronne enfin un travail de longue haleine. Conçus comme de petits bijoux d'orfèvrerie, les huit titres qui le composent trahissent en effet une lente maturation, fruit d'une élaboration où rien n'a été laissé au hasard.
L'artwork, épuré mais superbe, tout comme ce nom énigmatique suggèrent une musique sinon originale du moins différente, dont l'amplitude du spectre sonore parcouru lui promet un vaste auditoire sans pour autant sacrifier ni la qualité et encore moins une identité, froide et chaleureuse à la fois, sur l'autel de la facilité commerciale.
Des références, on en trouve tout du long de cet album. Bien entendu. Le groupe s'amuse à citer aussi bien Joy Division que Kyuss. Mais on les oublie vite, emporté par la glaciale énergie de ces compositions au sein desquelles fermente une incroyable richesse qui explose en un jeyser de vibrations mélancoliques. Chant passé au Vocoder ("Impulse"), saxophone déchirant aux confins de la folie ("Mother Of A Trembling Heart"), loops hypnotiques, claviers seventies et guitares ferrugineuses trempées dans l'encre noire du désespoir ("After Me, The Flood") constituent le substrat d'un opus riche en nuances dont la densité se conjugue à une sourde tension.
Il suffit à Klymt de cinq (petites) minutes pour capter l'intérêt. C'est la durée de "Concrete Mantra", amorce au rythme obsédant que transpercent de brutales explosions vocales. Hear The Chief Moo Downtown ne nous lâchera plus jusqu'au terminal "Roads", lacis d'ambiances désenchantées, d'aplats hypnotiques et de touches plus lourdes. Il n'y a rien, absolument rien à jeter de ce menu à l'intensité fiévreuse, toujours excitant car truffé d'idées, de trouvailles franchement jubilatoires.
Galop d'essai peut-être, l'album transpire néanmoins la maturité par tous les pores, oeuvre de musiciens complémentaires, connectés les uns aux autres par une même soif de liberté et d'absolu.