Si l'année 1974 et l'album Crime Of The Century ont incontestablement incarné une première rupture décisive (une seconde pouvant être identifiée avec le départ de Roger Hodgson en 1983) dans la carrière du groupe britannique, on aurait néanmoins tort de négliger cet " avant", tombé injustement dans les oubliettes, la faute à un double échec commercial plus qu'artistique entraînant la quasi négation de cette période courant de 1969 à 1973 plus riche qu'il n'y parait et qu'il convient donc de (re)découvrir.
A l'aube des années 70, Supertramp est encore une formation qui se cherche, comme les multiples changements de personnels la secouant alors tendent à l'illustrer. Toutefois le noyau dur constitué autour du duo Rick Davies et Roger Hodgson est déjà en place bien qu'il ne soit pas encore clairement défini tout comme le style que le groupe veut pratiquer.
Encore sous l'influence du psychédélisme ambient, les musiciens sont encore loin d'avoir fixé une identité singulière entre pop et rock progressif. L'alternance entre les lignes vocales de Davies et Hodgson n'est pas encore établie de même que le rôle tour à tour lumineux ou tragique tenu par le saxophone. Mais le talent, lui, est bien là. L'inspiration également ainsi que ce goût pour des pochettes d'une esthétique très personnelle. L'oeuvre éponyme le prouve haut la main.
Gravé en 1970 la nuit, dans des conditions assez rudimentaires et dans une ambiance tendue par une formation où l'on croise, outre le tandem de musiciens déjà cité, le batteur Robert Millar et surtout le guitariste Richard Palmer, plus tard connu comme paroliers au sein de King Crimson, Supertramp débute comme il s'achève, par le titre "Surely", dont la première apparition ne se limite en réalité qu'à son introduction. Entre les deux, s'enchaînent huit compositions variées bien qu'elles drainent toutes une forme de mélancolie tranquille (le déchirant "Words Unspoken", "Aubade"...).
Rock électrique ("Nothing To Show"), plages squelletiques ("Home Again") balisent un parcours teinté d'amertume d'où émergent le psyché "It's A Long Road" dont la partie instrumentale s'emballe en un orgasme déchaîné et surtout les pièces les plus progressives : la lente montée en puissance "Maybe I'm A Beggar", elle aussi fendu par un passage du feu de dieu et bien entendu Le morceau de bravoure de l'album, "Try Again", titre-fleuve de douze minutes traversées de multiples ambiances.
Maladroit peut-être, cet album possède néanmoins beaucoup de charme mais, à l'instar de son successeur, Indelibly Stamped, il ne lui aura manqué qu'une certaine intemporalité, qui fait qu'il porte certainement trop l'empreinte de son époque là où sa future et glorieuse descendence a réussi à traverser les modes et les générations. Echec commercial à sa sortie, il ne rencontera finalement le succès que plus tard, une fois le groupe durablement installé au somment des charts et sur les ondes.